Éducation

Places en crèche et clientélisme : la rentrée musclée de Maman travaille

Marlène Schiappa a beaucoup de casquettes. Entrepreneuse, fondatrice du mouvement Maman travaille, un blog et un réseau de mères de famille actives, et adjointe au maire du Mans déléguée à l’Égalité, elle est avant tout une activiste dans l’âme qui refuse le statut quo sur la condition des femmes. 

A la veille de la rentrée des classes, elle publie sur Change.org un appel aux maires de France pour faire toute la transparence sur l’attribution des places en crèche dans leurs communes. 

Entretien avec cette activiste super-active.

Vous venez de lancer sur Change.org une pétition concernant les inscriptions en crèche. Pourquoi demandez-vous aux maires de rendre publics les critères d’attribution des places en crèche ?

Il manque entre 350 000 et 500 000 places en crèches en France, selon les différents modes de calculs. Cela crée un marché du mode de garde en flux tendu, les places sont rares. Dans ce contexte, les parents ont le sentiment qu’obtenir une place en crèche pour leur enfant relève de la « chance » ou du « piston », que ces places sont attribuées à la tête du client…
Pour 44% des mères qui travaillent, cela a même été une épreuve de trouver un mode de garde, d’après la dernière étude menée par l’association Maman travaille.
Certaines communes ne se rendent pas compte de l’extrême désarroi des jeunes parents. Cette année, dans un contexte où le débat public est centré sur la lutte contre le terrorisme, la question des places en crèches risque de passer à la trappe. Nous recevons de plus en plus de messages de jeunes parents affolés de ne pas avoir même de réponse de leur Mairie !
Certaines villes de France ont entamé des démarches très claires et publient les critères d’attribution des places en crèches et même les barèmes, la composition des commissions d’attribution…
Dans d’autres villes cela reste très flou. Cela nourrit le sentiment d’une forme de clientélisme. Un berceau en crèche ne doit pas être un cadeau mais un service municipal, financé avec l’argent public. Une équité d’accès doit être garantie et un égal accès aux critères d’attribution pour tous les parents.

Vous avez commencé par bloguer et vous faites maintenant campagne pour les droits des parents. Vous définissez-vous comme une activiste ?

Absolument. Par différents biais : le blog, mais aussi les événements que nous organisons avec Maman travaille, l’animation de formations ou de conférences, la réalisation d’études statistiques et la publication de livres comme Plafond de mère que j’ai co écrit chez Eyrolles et qui décrypte les mécanismes qui freinent la carrière des mères.
Egalement comme élue de la société civile, membre d’aucun parti politique, j’essaye avec quelques autres élu-e-s et militant-e-s d’amener la vie politique vers moins de sexisme et plus de prise avec la réalité.
Il n’y a par exemple que 25% de femmes parlementaires et la plupart sont retraitées. Quand on sait que dans 90% des familles ce sont les femmes qui s’occupent des questions de la recherche d’un mode de garde pour les bébés, on comprend que ça ne passionne pas forcément l’Assemblée nationale et le Sénat, dont l’immense majorité des membres n’est pas et n’a pas été confronté à ce problème épineux et à ses conséquences graves.

Pourquoi avez-vous décidé de créer votre blog ?

Quand j’attendais ma fille aînée, il y a 10 ans, je travaillais dans une grande agence de communication (Euro RSCG). C’est un environnement de travail passionnant. Mais c’est un secteur d’activité où l’on termine tard, trois ou quatre heures après la fermeture de la crèche ou de la garderie, qui était à plus d’une heure de transports de chez moi. De plus, je ne savais pas jusqu’à la dernière minute si j’allais obtenir une place en crèche – j’en ai eu une pour deux jours par semaine.
Je découvrais ces problèmes dont on ne m’avait jamais parlé et j’ai voulu interroger les femmes qui semblaient réussir à tout concilier. Je m’interrogeais aussi sur le fait que les hommes n’en paraissent pas aussi gênés.
Le blog Maman travaille a eu pour but de partager des expériences et de se réunir pour militer ensemble auprès des entreprises et des pouvoirs publics vers plus d’égalité parentale et une meilleure politique publique et RH de conjugaison vie pro / perso.

Comment expliquez-vous que les choses soient si compliquées pour les femmes qui travaillent?

Il existe tout un mécanisme que nous appelons « plafond de mère » qui pénalise les femmes. Il y a une responsabilité tri-collective. D’abord, l’ensemble des stéréotypes, la société toute entière, qui véhicule l’image d’une bonne mère uniquement au foyer dans la publicité, les médias, etc. Ensuite de la part du monde du travail qui valorise en France le présentéisme et promeut les personnes entre 30 et 35/40 ans uniquement – pile quand on devient parent – et perçoit les femmes comme des agents à risques susceptibles de partir en congé maternité. Enfin, une responsabilité personnelle de chaque individu dans sa manière de renoncer à l’égalité, parfois. Quand un père choisit de ne pas prendre un congé paternité parce qu’il pense que c’est à sa femme de s’occuper du bébé et qu’il doit gagner de l’argent ou quand une mère choisit de prendre en charge la gestion quotidienne du père de son bébé, en plus du bébé… C’est un cercle vicieux ou vertueux.

Depuis que observez-vous ces questions, voyez-vous les choses s’arranger ?

Certaines choses s’arrangent. Bien sûr on doit évoquer la loi égalité dite du 4 août portée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem et le gouvernement. L’association Maman travaille avait été auditionnée à l’époque par la commission et par la députée Barbara Romagnan. Certaines de nos propositions ont été entendues.
Des employeurs aussi vont dans le bon sens, on parle désormais plus d’équilibre des temps de vie, de qualité de vie au travail etc. Mais cela ne doit pas rester de la comm’ ou des intentions, et doit se traduire dans les actes. Ce qui demande l’implication de toutes et de tous.
Sur d’autres thèmes, hélas on régresse: de 4% de pères à prendre le congé parental il y a 10 ans, on est descendu à 2%…

Vous parlez souvent des appels à l’aide de parents que vous recevez sur votre blog : quelle est l’histoire qui vous a le plus marquée ?

Ces mères qui travaillent sans mode de garde pour leurs enfants. En France, dans les années 2000, il existait des enfants en bas âges qui restaient tous seuls chez eux parce que leurs parents n’avaient pas les moyens de les faire garder et en ont eu honte. La détresse des mères célibataires notamment, économiquement et socialement, est un vrai sujet de société, politique et primordial.
J’ai bon espoir qu’il soit pris en considération car la ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes Laurence Rossignol est l’une des premières ministres à avoir perçu exactement ce qui se jouait pour ces femmes et à vouloir agir pour elles, dans leur vie quotidienne avec la création d’un réseau d’entraide. Nous attendons, avec l’association, de voir ce que cela va devenir et comment ça va se traduire.
Mais cette question des mères qui travaillent sans pouvoir faire garder leurs enfants est un des exemples concrets des conséquences graves du manque de modes de garde pour les jeunes enfants en France, et humainement on ne peut s’empêcher de penser à ces enfants seuls chez eux le soir…

Quel rôle joue votre famille dans votre engagement citoyen : êtes-vous soutenue ?

Oui, d’ailleurs j’ai invité ma soeur Carla qui est mère de 3 enfants et belle-mère de 2 enfants à lancer son propre blog (« Le blog de Carla ») pour partager son expérience de maman d’un bébé prématuré, mais aussi de directrice d’école à la tête d’une grande famille recomposée. Elle s’est engagée auprès de SOS Préma.
Ma fille aînée est également un vrai soutien, car malgré son jeune âge, elle bouscule des certitudes et est une vraie militante du quotidien, elle est anti bains pour ne pas gaspiller l’eau, ne mange pas de viande, etc. Et tout cela est son propre choix conscient. Ma fille cadette est plus petite mais elle s’interroge aussi beaucoup, par exemple sur les réactions à avoir lorsqu’on est harcelée dans la rue. Mes deux filles refusent de changer de trottoir quand je repère un groupe d’hommes en phase de harcèlement de rue par exemple, elles disent que c’est à eux de se sentir gênés.
Les enfants des autres membres de Maman travaille sont aussi très engagés dès le plus jeune âge.
Je pense que cette prochaine génération de jeunes femmes sera épatante et je mise beaucoup sur les jeunes garçons qui bénéficient d’une plus grande liberté dans leur identité sexuée.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

J’ai commencé à travailler très jeune, déjà au lycée je travaillais à temps partiel à la FNAC, puis j’ai gravi les échelons rapidement en travaillant pour une petite agence de pub, puis une plus grande, passant d’assistante à chargée de la veille médias; enfin j’ai créé ma propre agence avec un associé, dont les activités ont fusionné, ce qui m’a permis d’être directrice éditoriale et associée assez jeune, tout en écrivant des livres et en militant.
Les premières années de mes deux filles, je me suis beaucoup consacrée à elles, j’avais un rythme de dingue. La journée je les gardais un jour sur deux, je travaillais la nuit, je les emmenais à mes rendez-vous professionnels y compris dans des institutions prestigieuses et je n’ai pas eu un vrai week-end pendant des années.
Mais ma chance est de faire partie de cette génération qui a découvert les blogs et le web participatif, car nous avons acquis sur le tas une compétence que les générations d’au-dessus n’avaient pas, en majorité.
A la naissance de ma deuxième fille, j’ai de nouveau changé de mode d’organisation du travail en devenant freelance pour avoir plus de souplesse dans mes projets. Ça me permet à la fois d’écrire des articles et des études, de publier des guides pratiques et des romans et de suivre leur vie, comme Pas plus de 4 heures de sommeil (Stock) qui est en cours d’adaptation eu cinéma puisque les droits ont été rachetés par Mélissa Theuriau.
Je suis aussi élue du Mans où je m’occupe de l’égalité et depuis récemment de French tech. Je raconte cette découverte de la vie politique dans « Marianne est déchaînée » (Stock). Puis je suis passée par le cabinet de la Ministre des familles, de l’enfance et des droits des femmes Laurence Rossignol.

Si vous aviez un conseil à donner à une personne qui lance une pétition pour la première fois, quel serait-il ?

Se rapprocher de Change.org plutôt que de concevoir sa pétition tout seul dans son coin. On y est bien suivi et conseillé sur les meilleures manières de lui donner le plus d’impact possible. Il existe des méthodes et un process, des gens qui ont cette expertise de la pétition et de l’engagement en ligne, il faut s’appuyer dessus 🙂

Written by
Change.org
août 30, 2016 2:20